Émission de radio L'Autre Monde

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mercredi 31 décembre 2008

Sur Les 7 du Québec: La « rue arabe » assiste avec une rage impuissante à un carnage de grande ampleur.

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Les 7 du Québec


Ce texte a été publié sur Les 7 du Québec le 31 décembre 2008 Par Pierre R. Chantelois


La « rue arabe » assiste avec une rage impuissante à un carnage de grande ampleur.

Hier, mon collègue François a traité en profondeur du conflit de Gaza. Permettez-moi d’aborder un angle différent de ce conflit. Le point de vue arabe. Le mercredi 30, Djamel Bouatta écrit dans la Liberté (Algérie) : « Le monde arabe pourtant lié par la langue, la culture et la religion est toujours victime de ses propres jeux et calculs politiciens, de son incapacité à exorciser ses pesanteurs et des refus de ses dirigeants de s’ouvrir sur leurs sociétés lesquelles, aujourd’hui, exigent la dignité, la considération et la démocratie. Israël, bien entendu, se réjouit du discrédit de ses voisins, de la paralysie de la Ligue arabe et s’emploie maintenant à donner le coup de grâce à un Hamas certes islamiste mais qui reste le seul à résister avec des Katioucha bricolés par des ferrailleurs et qui, de toute évidence, ne fait pas le poids face au rouleau compresseur israélien. Israël prend même son temps, largement. Les pays arabes aussi, qui ne se réuniront que dans trois jours, lorsque seront bouclées les fêtes de fin d’année musulmane et chrétienne ! Pour l’histoire, les régimes auront laissé Israël achever son sale boulot, réaliser sa solution finale. Quoi d’étonnant que, du Caire à Beyrouth en passant par Bagdad et la Cisjordanie, les manifestations de rue dénoncent la « lâcheté arabe » et donnent du crédit aux islamistes. Du pain béni pour ces derniers qui exploitent avec brio la fermeture du champ politique et médiatique et la liberté d’expression sur fond de répression et de violations de toutes sortes qui caractérisent le monde arabe d’aujourd’hui ».

Si la diplomatie s’active, elle n’est pas arabe, pour l’heure. Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne en appellent à Paris à un « cessez-le-feu permanent » à Gaza. Pour Le Quartette pour le Proche-Orient, il doit également en aller ainsi : « un cessez-le-feu « immédiat ». Le 28 décembre, Gulf News constatait que : « Tandis que Gaza brûle, les responsables sont au téléphone pour tenter d’obtenir une réunion d’urgence des pays arabes. Le plus tôt possible, nous dit-on, sera vendredi. D’ici là, il y aura moins de Gazaouis dans la bande de Gaza. Et la campagne sanglante d’Israël aura baissé en intensité. Cela convient à l’évidence aux responsables arabes. La pression exercée par l’opinion publique arabe pour prendre de difficiles mesures aura baissé. Ils pourront ensuite blâmer le Hamas pour le carnage ».

Sur El-annabi, Amine B., La voix de L’Oranie, s’interroge à juste titre : « On parle d’un sommet extraordinaire de la Ligue arabe, ce vendredi à Doha, dont la tenue n’a pas été confirmée. […] Les pays qui y seront présents (9 sur 22 seulement ont donné leur accord jusque-là), devront plancher sur deux points principaux qui seront à l’ordre du jour. Le premier a trait à l’arrêt des attaques israéliennes, le second à la relance rapide d’une seconde trêve entre le Hamas et Israël. Ces deux points sont difficiles à atteindre, non pas à cause de la supériorité militaire prétendue d’Israël dans la région (qui n’est en vérité que celle des États-Unis), mais parce que Tel-Aviv lie les deux points, à savoir que les attaques continueront tant que le Hamas ne sera pas bouté au large de Gaza, pour reprendre les propos des responsables israéliens coupables de la boucherie toujours en cours ».

Gilbert Achcar enseigne à l’Université de Paris-VIII et à l’Université américaine de Berlin. Selon ce dernier, dans un article qu’il a fait paraitre sur Mediapart, l’assaut meurtrier qu’Israël a perpétré contre Gaza était tellement prémédité qu’il était annoncé à l’avance, samedi matin, dans plusieurs quotidiens arabes. [...] Walid Awad, le correspondant du quotidien, rapportait avoir appris « de source diplomatique arabe digne de confiance que le général Omar Suleiman, chef des renseignements égyptiens, a informé certaines capitales arabes qu’Israël allait lancer une offensive limitée contre la bande de Gaza pour exercer une pression sur le mouvement Hamas afin de l’obliger à accepter une trêve sans conditions préalables. Ces sources ont ajouté que le général Suleiman a insisté auprès de la ministre israélienne des affaires étrangères, Tzipi Livni, sur la nécessité d’éviter de faire des victimes parmi les civils durant l’opération militaire afin que des photos d’innocents ne soient pas utilisées pour exciter la rue arabe. […] La collusion avec Israël des « Arabes de l’Amérique », comme les appelle « la rue arabe », c’est-à-dire les monarchies pétrolières du Golfe, la monarchie jordanienne et l’Égypte, est ainsi exposée au grand jour ».

Lors de sa rencontre avec la ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni, avant l’intervention massive d’Israël à Gaza, le président égyptien, Hosni Moubarak, avait incité les belligérants à la modération. Il disait vouloir éviter toute escalade militaire. Tzipi Livni n’a pas manqué de rappeler l’importance, pour Israël, des relations avec l’Égypte.

L’Égypte se situe entre le marteau et l’enclume : elle demande d’une part une retenue d’Israël et, d’autre part, une cessation des tirs de roquettes, par le Hamas, sur le territoire israélien. Mme Livni a déclaré avoir discuté avec le président Moubarak « ouvertement et franchement » sur l’état de la situation à Gaza. Comme il fallait s’y attendre, Madame Livni a attribué la détérioration de la situation au Hamas. Les attaques quotidiennes contre Israël constituent, aux yeux de la ministre israélienne des Affaires étrangères, un obstacle vers l’établissement d’un État palestinien indépendant. Et la ministre a, par la même occasion, demandé aux ambassadeurs d’Israël à travers le monde de faire des efforts afin d’obtenir du soutien à l’opération anticipée dans la bande de Gaza.

De cette rencontre stratégique, avant les événements du samedi 27 décembre, il semble que seule la voix israélienne a dominé l’actualité. Est-ce par un effet de sa bienveillante neutralité, toujours est-il que peu de protestations se sont élevées au Caire pour dénoncer de la plus verte façon cette intervention massive à Gaza.

L’intervention est plutôt venue d’Abdallah II, de Jordanie. Dès samedi, il a appelé la communauté internationale à réagir. Il a déclaré que la violence ne fera qu’aggraver le conflit et ne ramènera pas la sécurité à Israël. Le roi a demandé au gouvernement jordanien de prendre toutes les mesures pour soutenir les Palestiniens de Gaza. Le roi entend également fournir l’assistance humanitaire et médicale pour aider Gaza à surmonter les difficultés causées par « l’agression et le siège d’Israël » (sic).

La démarche du Roi de Jordanie ne s’est pas arrêtée là. Il a multiplié les contacts diplomatiques avec des dirigeants arabes et des leaders politiques mondiaux. Il s’est entretenu avec Hosni Moubarak et le président palestinien, Mahmoud Abbas. Ce dernier, qui a rencontré dimanche Hosni Moubarak au Caire, vient d’appeler dimanche le Hamas à conclure une nouvelle trêve avec Israël. Les ministres arabes des Affaires étrangères, qui se réuniront mercredi toujours au Caire, lanceront un message similaire au Hamas : il faut conclure une nouvelle trêve.

Une nouvelle fois, le Roi Abdallah franchit un pas que ne semblent pas franchir les diplomates égyptiens et arabes, dans leur ensemble. Il demande clairement à la communauté internationale d’assumer ses responsabilités légales et morales vis-à-vis du peuple palestinien en exigeant d’Israël de cesser ses agressions contre la bande de Gaza.

L’une des conséquences de cette intervention d’Israël à Gaza est la réaction de la rue arabe à l’égard d’Hosni Moubarak. L’ambassade d’Égypte à Beyrouth était dimanche la cible de pierres lancées par des centaines de manifestants. Les slogans sont nettement hostiles au président Moubarak en Égypte. La foule lui reproche d’être complice du blocus israélien. L’accusation est de taille : « Moubarak et Livni se sont mis d’accord sur le génocide du peuple palestinien », pouvait-on lire sur des pancartes brandies par la foule. 2.000 Égyptiens ont manifesté et accusé de « complicité » le président égyptien Hosni Moubarak. Ces voix de la rue arabe n’ont, selon toute vraisemblance, pas entendu le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Hossam Zaki qui a déclaré à l’AFP avoir convoqué l’ambassadeur israélien pour lui signifier que l’Égypte refusait cette agression. Et ces mêmes voix de la rue n’ont pas entendu la condamnation de leur pays. En effet, si l’Égypte a bien condamné les agressions militaires israéliennes sur la bande de Gaza et fait porter la responsabilité à Israël, en tant que force d’occupation, des morts et des blessés, il semble que ce message ait peu porté.

La question se pose : Hosni Moubarak a-t-il été ou non informé par Tzipi Livni sur la nature même de l’intervention d’Israël à Gaza et a-t-il conclu une entente de non-intervention publique ? Selon le Hamas lui-même, les raids israéliens sont « un complot orchestré » avec l’Égypte. C’est tout de même depuis le Caire que la ministre des Affaires étrangères a rendu public son intention de ne plus laisser la situation se dégrader sur le territoire israélien. « Le fait que le Hamas continue de tirer sur les Israéliens et les communautés israéliennes est inacceptable », avait-elle déclaré. Mme Livni avait promis des représailles contre le Hamas. L’opération a-t-elle été menée que pour renverser le Hamas, avec un silence complice de l’Égypte ? Des voix s’élèvent pour confirmer ce doute.

Samedi, Israël a procédé à une attaque massive contre des installations du Hamas dans la bande de Gaza. Tel-Aviv vient de sortir l’artillerie et bombarde Gaza. Opération « plomb durci » ! Soixantaine appareils israéliens ont bombardé une cinquantaine de sites du mouvement islamiste. Bilan encore provisoire : 228 morts et plus de 700 blessé. C’est le plus lourd depuis 60 ans. Pour Tzipi Livni, ces raids menés contre le Hamas sont justifiés : « Il n’y a pas d’autre option qu’une opération militaire ». Pour passer en revue les préparatifs de cette attaque massive, il vous faudra lire Haaretz qui relate les faits saillants qui ont marqué, du point de vue interne, l’intervention israélienne à Gaza.

Intrinsèquement, ce que craint foncièrement l’Égypte, n’est-ce pas un regain de violence qui ne pousse la population de Gaza à forcer sa frontière, comme en janvier 2008 ? Elle a déployé près de 500 policiers des forces antiémeutes tout au long de la frontière avec la bande de Gaza après les raids israéliens. Hosni Moubarak a donné des instructions pour ouvrir le terminal afin d’accueillir les blessés palestiniens. De son côté, Hassan Nasrallah a, selon l’AFP, appelé dimanche le peuple égyptien à descendre « par millions » dans la rue pour forcer l’ouverture du terminal de Rafah, frontalier de la bande de Gaza. Qui parle au nom de qui ?

Selon Le Monde diplomatique, « l’accord comprenait, outre le cessez-le-feu, la levée du blocus de Gaza et un engagement de l’Égypte d’ouvrir le passage de Rafah. Or, non seulement Israël a violé l’accord de cessez-le-feu en lançant une attaque qui a tué plusieurs personnes le 4 novembre, mais les points de passage n’ont été rouverts que très partiellement, et le blocus s’est même renforcé ces dernières semaines ».
Kadhafi n’a pas raté l’occasion pour fustiger ses homologues. Il a qualifié de « lâche et défaitiste » l’attitude des pays de la région face à l’offensive israélienne. Il refusera même, comme l’indique le quotidien Le Monde, de participer à un « sommet qui fait jouer un disque rayé depuis longtemps ». Selon le porte-parole de la Maison Blanche, le roi Abdullah d’Arabie Saoudite s’est entretenu, samedi, par téléphone, avec Georges W. Bush : « Superpowers should take responsibility to stop these attacks. The attack was a continuation of Israeli policies of occupation and mistreatment of Palestinians. Major countries should shoulder their responsibilities to stop this Israeli attack and save the lives of the innocent and remaining infrastructure in the Palestinian territories », a déclaré le Roi.

Le Quotidien d’Oran est sanglant : « Le bilan des attaques aériennes barbares de l’armée israélienne contre la population de Ghaza s’aggrave d’heure en heure. Dans le monde arabe, les officiels, soucieux de ne pas déplaire aux Américains, se livrent à des atermoiements alors que les opinions publiques expriment, là où elles le peuvent, une rage impuissante. […]Si les États arabes étaient des démocraties, la plupart des gouvernements seraient tombés. Ces jours de carnage démontrent, de manière saisissante et sanglante, que le centre occidental a besoin que les régimes autoritaires arabo-islamiques perdurent. Il ne faut donc pas se surprendre à lire dans la presse occidentale que les tirs de roquettes de la résistance palestinienne sont des «crimes de guerre» et que les bombardements aériens israéliens ne sont que de la légitime défense. Le discours des propagandistes israéliens consiste à imputer les pertes civiles palestiniennes au Hamas. Certains, y compris dans la cour du fantomatique président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, relaient ce discours de justification ».

L’Égypte a-t-elle toujours une autorité morale pour chercher à établir une trêve entre les belligérants ? Il y a d’abord l’axe le Hamas et le Fatah. Il y a ensuite l’axe le Hamas et Israël. Puis, l’axe la Palestine et Israël. Beaucoup de divisions et très peu de points communs. Comment Mahmoud Abbas, qui campe résolument sur ses positions, peut-il changer la situation à Gaza en imposant des conditions qu’il sait inacceptables au Hamas ? Comment le Hamas peut-il se déclarer ouvert à un dialogue avec le Fatah lorsqu’il persiste à ne pas reconnaître la légitimité de l’État d’Israël ? L’Égypte, qui entretient des relations diplomatiques avec Israël et qui est parvenue à conclure une première trêve entre le Hamas et Israël, aura-t-elle l’autorité nécessaire, cette fois, pour amener les belligérants à conclure un nouvel accord ?

La mise au ban du Hamas est-elle une voie vers la réconciliation des frères ennemis ? Et que dire des accointances entre l’Égypte et les États-Unis qui ont, dans un premier temps, dénoncé, prudemment l’intervention israélienne : « Les États-Unis tiennent le Hamas pour responsable de la violation du cessez-le-feu et du regain de violences à Gaza », a déclaré Condoleezza Rice. Ce qu’elle n’a pas osé dire franchement est venu de Gordon Johndroe, porte-parole du Conseil national de sécurité de la Maison Blanche, qui a dénoncé plus bruyamment : « Ces gens (le Hamas) ne sont rien d’autre que des voyous et Israël défend son peuple contre les terroristes comme le Hamas » (completely unacceptable. These people are nothing but thugs - New York Times). Pour Gordon Johndroe : « Le Hamas doit mettre fin à ses activités terroristes s’il veut jouer un rôle dans l’avenir du peuple palestinien ».

Stigmatiser et isoler le Hamas sont-elles les voies de l’avenir ? Une banderole, entre les mains d’un manifestant, indiquait : « Derrière les bombardements, il y a le silence des Arabes ». Aux manifestants qui ont tenté de s’approcher de l’ambassade d’Égypte, à Beyrouth, pour demander à l’Égypte d’ouvrir ses frontières, la police leur a servi des gaz lacrymogènes. Beyrouth n’est pas Londres ou Paris.

Les pays arabes sont capables d’ententes qui leur sont propres. Au Conseil de coopération du Golfe (CCG), l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Oman, le Qatar, le Bahreïn et le Koweït signeront un pacte monétaire. Sera-t-il question de Gaza ? Un responsable du ministère omanais de l’Économie a, selon l’Express, répondu qu’il « ne pense pas que l’ordre du jour sera bouleversé ».

Comme l’indique le Quotidien d’Oran (déjà cité) : « Le fossé entre les régimes et la population ne fait que s’élargir. Mais les régimes autoritaires ayant verrouillé aussi bien les champs d’expression que les mécanismes de changement, ces colères n’auront pas de traduction politique. Les États veilleront à ne pas déplaire à Washington. D’où les tergiversations à tenir un sommet arabe qui, c’est prévisible, n’aboutira à rien d’autre qu’à aggraver le discrédit des régimes ».

Pierre R. Chantelois


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